Voyage au bout de la rue

Déjà deux jours qu’elle n’était pas sortie. Deux jours, c’est long. Elle avait retrouvé une paire d’espadrilles et se promenait de l’appartement à la cour en trottinant, chaussures d’été aux pieds. En voyant le mur qui donne dehors, tout pâle et plein de mousse verte, elle avait entrepris un grand nettoyage. Puis, décidée à mettre de la couleur, elle avait laissé courir ses pinceaux, créant de grandes tiges vertes qui s’enroulaient le long d’une branche imaginaire.

Son horizon était assez limité : depuis la fenêtre de la cuisine, elle pouvait voir la station de tramway Mac Orlan, qui déversait habituellement son flots d’étudiants et de travailleurs ; puis, en descendant les trois marches qui menaient au couloir commun, elle accédait à une cour intérieure, rien qu’à elle puisque désormais, elle était seule au rez-de-jardin. Le soleil qui pointait son nez depuis quelques jours l’avait mise en joie, et elle se prenait de passions nouvelles : le jardinage, la peinture sur mur, la photographie de ses escales vagabondes au bout du couloir. Elle postait ses photos sur les réseaux sociaux, soucieuse d’éclairer quelque peu les journées de ses amis virtuels.

Depuis quelques heures, l’ambiance avait changé, très légèrement, mais elle sentait que quelque chose se mijotait. Dans le silence soudain pesant de la place, dans la lumière crue du milieu de journée, elle se doutait. Elle avait coupé la radio dès le matin, s’énervant des prédictions de prédictions sur un discours « crucial » qu’on devait leur dispenser le soir même. Elle avait coupé et s’était remise à peindre, dans ce désert qu’était devenu sa vie, en se demandant si bientôt, les voisins reviendraient, prendraient à nouveau un verre en s’asseyant sur le rebord de la fenêtre… et s’ils goutteraient à ses talents d’artiste en herbe en grignotant quelques chips.

Lasse de sa journée, elle décidât, à presque pas d’heure, de faire un truc fou, de troquer ses espadrilles et son short en jean délavé, sur lequel s’étaient égarées quelques traces de peinture, contre une tenue plus décente et des baskets usées, et poussât la porte de sortie, celle qui donnait sur la place, celle qui lui promettait un peu de bitume, des trottoirs à monter, des passages cloutés à contourner, des crottes de chiens à éviter, des devantures bigarrées, des lianes débordants des clôtures et quelques passants égarés. Celle qui lui promettait une fenêtre de semi-liberté, celle qui la faisait humer le nez au vent, celle qui… aïe, emportée par sa folle envie de liberté, elle se rappelât en croisant ceux qui portaient l’infâme uniforme qu’elle avait oublié son attestation de déplacement dérogatoire. Fin de l’histoire.

13 avril 2020

4 réflexions sur “Voyage au bout de la rue

  1. Qui l’eût cru ce voyage au bout de la rue?? 1 km de dépaysement !! J’espère que le voyage ne s’est pas mal terminé 😏 ??A bientôt chère Agnès pour tes belles descriptions…pour trinquer à nouveau, il nous faudra malheureusement attendre encore ! 😘😘

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