C’est un dimanche un peu comme les autres finalement. A part quelques détails, comme le fait que cette nuit, on a changé d’heure et que les horloges de la maison ne sont pas toutes au diapason, ça fait cloche. A part aussi que ce matin, point de visite chez mon voisin, pas de pain au chocolat et de petits bavardages anodins, on est chacun d’un côté de la rue. Cet écart me paraît tellement immense, que je n’ai pas eu le courage de le franchir. A part que tout est si calme, sauf peut-être le vent qui s’est levé depuis hier et me fait songer aux bords de mer que je ne peux plus atteindre.
Tout à changé, et pourtant, je ne me sens pas si mal, à part les fois où je navigue sur l’océan des infos, où je compulse fébrilement l’espace que Twitter a ouvert sur l’épidémie. Un puits sans fond où les mauvaises nouvelles se succèdent comme autant de bouteilles qu’on a pas eu le temps de jeter à la mer. On empile tout ça, et on en fait quoi ? On parle des jours meilleurs qu’on ne tardera pas à reconstruire, on parle de tout ce qu’on changera après, on parle des jours les plus durs, de tsunami, de vagues, on parle d’asphyxies et de paradoxes, on parle tant qu’on peut, on rit aussi.
Souvent, c’est comme un rire salvateur, parce que cette chaleur nous fait tous du bien. Parfois, on se sent seul, si seul. Moi par exemple, lorsque j’ai entendu que les gens applaudissaient à leurs balcons, tous rassemblés à 20 heures. Ce soir là, j’ai fermé mes volets en PVC blanc, j’ai regardé à droite, à gauche, et au milieu, comme pour traverser. Sauf qu’il n’y avait rien à traverser. La rue était calme, restaient quelques lumières allumées par ci par là, le souvenir furtif d’un voisin qui était passé sans même me saluer, cette petite crainte au bord des lèvres…
Alors oui, la rue était calme, le village entier était calme. Pas comme mort non, comme endormi, comme oublié. Oubliée la vie, ou alors on nous en envoyait quelques images : un gamin qui passe en faisant crisser les freins de son vélo, une voix d’enfant qui perce le jour, le miaulement du chat qui veut rentrer. Oubliés les voisins tendances, sympas, qui applaudiraient à la fenêtre ou proposeraient de jouer aux cartes à distance. Non, ici, rien de tout ça. On est à la campagne, on est comme des pièces rapportées, piégées, enfin moi c’est sûr, je ne connais presque personne dans ce village où je suis en résidence et où je me rends compte à quel point c’est difficile parfois.
L’autre jour, alors qu’on croyait encore qu’on pouvait se balader innocemment dans la campagne, on est sorti avec mes enfants. C’était chouette de marcher vers le seul coin où il y a un peu d’air et d’herbe pour se promener, quelques chemins même. Mais avant d’y arriver, il faut passer par les lotissements, parmi les maisons aux toits en fausses ardoises, enjamber la route nationale qui coupe le village en deux, regarder un instant les bords de la route, avec ses fleurs insolentes, défiant la pollution et résistantes aux camions qui filent, vite, vers le bout du monde, Brest même ou un peu avant, Saint-Brieuc, Morlaix… on ne saura jamais.
On les voit passer, des gros, des petits, des avec des décorations, tous dans ce même bruit jadis presque insupportable. Aussi vite que roule la folie du monde. Ce jour là, c’était calme et on a fait des photos de la route toute vide. Puis on est parti se promener, au soleil, entre les petites tables de pique-nique qui ne servaient jamais en temps normal. Déjà. Mon fils a dit « Ben ça change pas trop le confinement ici, y’a jamais personne d’habitude ! ». On s’est marrés, on a fait un peu les fous autour du plan d’eau « Même ça c’est moche ! » a ajouté Noé en regardant l’eau pleine d’algues marrons… Je lui ai dit qu’il était dur quand même, mais je savais qu’il avait raison.
On est dimanche et cette fois c’est sûr, le vent de la tempête fait bouger les arbustes de la place, ça souffle un peu dans les fenêtres et fait battre les volets en pvc, toujours mal fagotés. Les enfants sont partis depuis dimanche dernier, et je suis seule à la maison, à me battre avec les éléments qui se déchaînent contre moi depuis une semaine. Les fuites de mon chauffe-eau, les plombs qui sautent, les innombrables passages de serpillières pour éponger l’eau, les douches froides, le silence de 20 heures, ma plaque de cuisson qui vient de me lâcher, alors que je faisais de délicieuses galettes de blé noir et que j’avais même réussi le tour de force de les retourner sans trop les froisser…
On est dimanche, et c’est sûr, ce n’est pas un dimanche comme les autres. Les cloches viennent de sonner 15 heures, le temps semble si long. Le temps s’est comme étiré, mais qu’en fait-on vraiment ?
Le temps ne s’est pas arrêté, il est juste un peu plus à nous. Je pense à ceux que j’aime, que je sens si loin en ce moment, je pense à ceux qui doivent « aller au front » comme c’est dit un peu partout. Ceux qui doivent enfiler leurs blouses, mettre des charlottes moches ou pire, des sacs poubelles, des gants usés et des masques sur le nez. Ceux qui n’ont pas le temps de se rendre compte si leur village leur plaît, en vrai, si leur vie n’est pas un peu un carnaval sans les plumes, si leur amour sonne comme un air de tango, de jazz ou une triste mélodie. Ceux qui cette nuit, mettront le réveil mais seront réveillés avant, avaleront un café vite fait et prendront la route, vers le travail, avec ce risque collé aux basques, avec cette boule au ventre, qui pourtant se dissipera vite quand ils seront au taf. Parce que c’est comme ça, parce que c’est l’heure, parce qu’on a pas pris de changer notre monde avant, parce qu’il faut bien continuer à, parce qu’on est pas des héros, comme ça, on est juste des humains confrontés au temps d’inconnus lendemains.
Les brèves d’Agnès. 29 mars 2020 (vers 15 heures donc… heure nouvelle je crois)
Agnès, tu as l’art de décrire, avec tellement de justesse, les petites choses que l’on vit au quotidien.
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Un grand merci Didier 🙂 Ton commentaire me touche beaucoup ! Portes toi bien en ces temps de confinement
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Je découvre le plaisir de vous lire;
Un peu comme un indien disant
« ça y est, on est découverts! »
🌬💨🌊amical mirliton
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Le plaisir est partagé, j’aime bien me balader dans la ménagerie d’images 🙂 Belle journée !
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