Je suis de retour sur le blog, après un mois passé en quasi confinement d’écriture. Alors pourquoi revenir alors que tout semble s’effondrer autour de nous ? Revenir pour ne pas s’effondrer soi-même, revenir se raconter des histoires, continuer à tisser du lien, à sourire, à pleurer, à rager, à s’indigner ou à se laisser aller encore à rêver. Alors voici ma drôle de journée de vendredi. Bonne lecture !
J + 2 : Jusqu’à nouvel ordre
Je vais vous parler d’hier, vendredi 13. C’était sans doute la journée la plus spéciale à vivre au niveau « collectif ». J’avais mal dormi après l’intervention du chef de l’Etat, aux sous-titres hypnotisants. Vingt minutes de dislong qui nous ont plongé dans une sorte de monde parallèle, de jamais vu, jamais entendu, jamais connu. « Jusqu’à nouvel ordre » résonnait encore dans ma tête, et alors que je ne parvenais pas à trouver le sommeil, ni à trouver de réponse à mes questions, mon alarme incendie s’est déclenchée me faisant sauter du lit en mode panique. Après avoir inspecté toutes les pièces de la maison, pas l’ombre d’une fumée ou d’une flamme, et la petite voix de mon détecteur de fumée « Fire. Fire » s’est elle aussi éteinte. Oui, mon détecteur parlait, je l’appris ce soir là.
Le lendemain, je devais aller à une réunion à Saint-Brieuc. Parler de projets qui seraient vraisemblablement annulés, sortir de effervescence de ces dernières semaines pour plonger dans le jour où l’inconnu allait prendre le dessus ne me réjouissait pas franchement. J’étais partagée entre l’envie de rester chez moi, le fameux « repli« , la tentation de l’auto-confinement pour ne pas finir entubée, euh pardon, intubée dans des urgences saturées et la tentation de sortir, de « voir » les autres, de parler, de discuter et de continuer la vie d’avant.
Après un gros temps d’hésitation, je me décidais à sortir. J’avais mis plein de couleurs dans mes habits. Un texto de la veille me revenait en tête « Euh, qu’est ce qu’on fait, on panique ou pas ? » J’avais envie de savoir. Sur la route, toujours autant de voitures, curieusement, dans le parking, beaucoup plus de places vides. Arrivée à la réunion, des grands sourires -de loin- et des discussions en aparté, des questionnements pratiques sur l’après, sur « comment on va s’organiser », sur « on maintient ou pas ? », sur un avenir qui se brouillait de points d’interrogations.
La réunion s’est tenue dans une drôle d’ambiance, chacun pensant aux points de crises annoncées un peu partout dans l’après-midi. Pour autant, on a convenu de choses, on a discuté signalétique et éco-gestes, chemins de randonnée, cartes et territoire. Et ça faisait du bien. La nature, elle, ne se confine pas.
Le midi, on s’est retrouvé dans un resto bondé, où la chaleur se dispersait autour de nous, les odeurs de fruits et de potimarron mêlées, les jolies assiettes et les sourires de la serveuse prenaient une autre saveur. On savait tous que dès lundi, l’ambiance pouvait se ternir, ici, là, un peu partout. On se croisait dans les rues en se disant que peut-être, ce simple plaisir nous serait interdit, ce simple plaisir commençait à nous faire peur… jusqu’à nouvel ordre.
Après-midi, retour au bureau pour une réunion de crise. Toute l’équipe est déjà là, nous attendant. Pas d’ambiance de stress ici, alors que je suis hyper tendue (mon côté optimiste), la collègue qui me disait hier « on va tous crever ! » semblait plus détendue. Tant mieux. Il fallait s’organiser pour les annulations, pour les gardes d’enfants, voir si on maintenait des trucs, si on remboursait les gens qui avait versé des arrhes, tout ce genre de choses. Parler de la reprise était impossible, puisqu’on avait pas de prise sur la fin des « évènements« . A un moment, on a fait un tour de table et quand Julien a dit « le problème c’est que plus rien n’est important maintenant » on s’est tous tu car il avait raison, que pesait une réunion importante dans ces conditions ?
Pas grand chose à vrai dire. Et comment s’organiser sans savoir comment allait s’arranger son conjoint ou sa « chérie » dans son entreprise ? Comment allait évoluer cette putain de situation… nul ne le savait. Les plus optimistes parlaient de la Chine, les plus jeunes semblaient s’en foutre royal, les plus pessimistes écoutaient les plus pessimistes, et les plus inconscients, ceux qui se tenaient éloignés des infos restaient sereins.
On s’est quittés quand même bizarrement après la réunion, genre « bon, ben on se revoit bientôt hein ! » et quelques rares collègues se sont dit « A lundi ! » d’un ton enjoué. Il faut dire que pour certains, les questions étaient tout autre « Les oiseaux, ils vont pas nous attendre pour qu’on les compte. Et de toutes façons, est-ce que c’est interdit d’aller sur le terrain ? » avait demandé Jean. A ce moment, ma cheffe m’a regardé en me demandant « Agnès, c’est interdit tu crois ? ». Et voilà, je payais le prix fort de ma sur-information sur le Covid-19, et j’étais sensée répondre à cette question. Est-ce qu’aller compter les petits piafs était problématique ? « Je pense que non, mais je ne suis pas épidémiologiste non plus » ajoutais-je parce que j’avais entendu ça à la radio, ça faisait pratique comme réplique. Et c’était vrai, j’en savais quoi moi ? A priori, pas grand chose. Jusqu’à nouvel ordre bien sûr.
Enfin, cette drôle de journée touchait à sa fin. J’avais oublié que j’avais pris un rendez-vous chez le coiffeur. Aie, que faire ? Le shampoing, ça se passe comment en période de pandémie ? Et arf, il va me tripoter la tête, avec des mains possiblement contaminées… D’un côté, si je dois restée confinée, à quoi bon me faire couper les cheveux ? Ou au contraire, ne serait-ce pas la dernière fois ? Pas rassurée, j’arrivais avec plus de 20 minutes de retard, espérant ainsi échapper au rendez-vous. Pas de bol, il m’accueille avec un grand sourire en disant que c’est pas grave.
Il m’installe sur le fauteuil noir (pas désinfecté bien sûr) et se met à papoter en tripotant mes cheveux (je le savais). Il était super gai, et après avoir définit ensemble une « coupe », il me lance « c’est super agréable ce temps hein ? Le printemps revient, c’est génial ! ». Alors là, les cheveux m’en tombent. Comment ce type, ce vendredi 13 mars, peut-il se réjouir d’un truc ? Je lui demande « vous n’avez pas eu une journée bizarre ? Ben si, me répond-il, mais c’est bon pour la planète, pour nos enfants, et puis ce virus n’est pas si dramatique que ça, alors voilà, faut pas paniquer non plus, ça ne sert à rien. Je regarde par la fenêtre embuée de vapeur, les narcisses et les jonquilles sont éclatantes, et bientôt, les oiseaux migrateurs viendront pondre le long des rochers, après les tempêtes de l’hiver. Jusqu’à nouvel ordre, la vie continue.
14 mars 2020 (c) Les brèves d’Agnès
Ah les coiffeurs et la météo c’est tout aussi indissociable que la mayo sur les frites. Belle bio-brève !
J’aimeAimé par 1 personne
Merci beaucoup Johan 🙂
J’aimeJ’aime