Des grappes d’humains se pressaient le long de la falaise. Voir passer les géants des mers, qu’ils disaient dans le Ouest-Fonce. Vas-y Alphonse, pousse toi que j’les voie moi. Léonie éteignit le poste d’un geste las. Des géants aux quatre vents, elle n’en avait cure, finalement. Elle aussi voulait avoir des ailes pour voler, sur les crêtes des volcans d’écume. Surfer sur des vagues insensées et rebelles, oublier un instant sur quelle terre elle était. Une terre hostile, une terre qui n’accueillait plus mais rejetait, des bouteilles à la mer et des bateaux d’exilés divagants de port en port, sans terre d’accueil.
Une terre où les coquelicots poussaient devant les mairies, désormais. Des lumières à la main, des chants dans la nuit, des pancartes et de l’espoir, pour qu’enfin quelqu’un entende. Mais qui ? Les géants de la pétrochimie, les génies de la finance, les multinationales dont les noms s’affichaient jusque sur les bateaux, quand tu y penses… Elle se demandait qui les entendait, Léonie. Peut-être que tout cela n’était pas pour eux.
Pour ceux qui bousillent, qui épuisent, qui polluent, qui jettent à la mer tant et tant de petites mains dans un puits sans fin, les grands salauds, ou les ptits cons, qui continuent de crier sans vergogne qu’on doit continuer, coûte que coûte, notre train de vie et nos macros-avantages. Fulguro-point ! Ou vas-y que je te bloque la quatre-voie. Oui, elle aimerait bien, survoler la mer, même en hélico, et prendre un peu de distance. Sauter en marche du train, ne pas faire gaffe à l’espace entre le quai et le marche-pied, tendre la main, répandre la flotte qui entre dans le bateau, là-partout, pour que poussent encore des tas de coquelicots.
Novembre 2018