Passer, repasser…

Il faisait chaud aujourd’hui. Il faisait une chaleur à crever dans le grenier, là-haut. Lilas avait installé sa table à repasser, et la vapeur du fer augmentait l’impression étouffante de ce début d’été, de ce jour de fête. Elle repassait avec application, les coins des taies d’oreiller, en songeant aux prochains qui dormiraient, la tête entrelacée de rêves, posée sur les draps rayés. Elle aimait le fer qui glisse, qui dépose sa chaleur sur le tissu distendu, puis le voir reprendre une forme douce et lisse. Dompter les plis et les froissures anarchiques créées par un séchage de dilettante. Elle se rappelait de Corinne, qui ne repassait jamais car elle étendait si bien son linge, disait-elle, qu’il séchait sans un pli. Elle, elle n’avait jamais eu le coup de main. Pas pour ça. Pour pas grand chose d’ailleurs, pensait-elle, en pliant rapidement un caraco noir délavé qui ne méritait pas trop d’attentions.

Elle connaissait ses limites. Comme les bouts de l’oreiller : quatre coins qui la renvoyaient dans ses cordes, ses discordes. D’un côté la vie qui s’use, la vie qui passe, si vite. Et hop, le quotidien qui glisse vers des recoins plus sombres, incertains, alors qu’à l’autre bout, c’est la vie qui va bien, insouciante, tandis que le dernier coin laisse encore quelques questions en suspens, un vague vague à l’âme… vite chassé par le pliage/écrasage/dépose dans la pile de linge « fait« . Elle en avait terminé avec les draps et les taies, elle avait encore quelques robes à fleurs, à volants et aussi un gilet gris avec des fils dorés, un qu’elle ne portait jamais, et se demanda si c’était bien utile de le repasser.

Les fleurs étaient de nouveau sagement disposées sur le tissu noir. Les volants fous avaient repris leur allure, le gilet était aussi moche qu’avant l’opération, et elle le déposa sur un cintre en bois, en se disant que vraiment c’était du temps de perdu, du temps passé à ressasser le passé tout en repassant le présent. Un temps à voir mourir de belles fleurs, sous les combles d’une vieille maison, d’un grenier où se perdent les lingères étrangères au tumulte de la vie d’en bas de la rue.

Mai 2018

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